Polytoxicomanie

Je me rappelle de la cuisine dans l’appartement que nous occupions avec Aline, rue Gérentet à Saint-Étienne. La table sur laquelle nous mangions servait aussi de plan de travail. Le salon était un atelier et il y avait un bureau dans la chambre. On s’étalait de partout.

Souvent, surtout l’après-midi, j’aimais travailler sur des petits formats dans la cuisine. Pendant une période, presque quotidiennement, la sonnette retentissait en début d’après-midi. Le café était chaud. Mon deux feuilles était roulé. Les copains pénétraient dans l’appartement. La plupart du temps, il y avait Ralph, Boyan et Quentin. Ils s’attablaient, je leur servais un café tout en faisant tourner mon joint et chacun prenait ses crayons. Esquisses ou dessins, ces messieurs se débrouillaient rudement bien. Parfois, on se tapait des assos’, c’est-à-dire que nous travaillions à deux sur le même dessin. Alors on remplissait nos feuilles jusqu’à l’indigestion tout en discutant de mille choses.

Ralph parlait d’arts martiaux et de danse. Il rêvait d’une chorégraphie dont certains gestes devaient constituer la réalisation d’une peinture. Il voyait les mains des danseurs comme des sortes éventails dont chaque branche serait remplacée par un pinceau. Il causait également de médecine chinoise, d’anatomie, d’Islam, des ses amis de Troyes, ça partait dans tous les sens !

Boyan, lui, ne jurait que par le dessin et le graffiti. Tout comme Quentin. Les maîtres étaient désignés. Léonard de Vinci, Brueghel l’Ancien et Jérôme Bosch étaient admirés pour le dessin et l’invention. Au Panthéon du graffiti, entre autres pionniers new yorkais, nous trouvions Dondi. Ensuite venait la vieille école française, Lokiss en tête. Enfin, la scène parisienne de la fin des années 90 était louée pour sa richesse et sa maîtrise.

En fond sonore, des groupes comme Company Flow, People Under The Stairs ou les Weather Report accompagnaient nos après-midi.

Parfois, nous étions rejoints par d’autres mains habiles ou quelques pirates à la sensibilité artistique. On passait à la bière. Les joints tournaient de plus en plus. Les discussions s’enflammaient.

En fin de journée, Aline rentrait des Beaux Arts et trouvait une bande de mecs installés dans une cuisine qui avait pris l’air d’un coffee shop exalté. Elle n’était pas toujours ravie. Mais quand elle jetait un œil sur les productions des uns et des autres, l’odeur du shit devenait moins lourde…